Pensez-vous que l’on puisse traiter de sujets graves et sérieux sur le mode plaisant ou humoristique ? Vous appuierez votre réponse sur des exemples de votre choix ou empruntés à d’autres formes d’art, y compris le cinéma.
CORRIGÉ
Introduction
Il faut parfois savoir pour prendre du recul vis-à-vis des choses, en rire de manière à les relativiser. On peut ainsi évaluer les choses les plus pénibles sur un mode plus plaisant voire sur un mode humoristique. On peut à cet égard citer des auteurs comme Molière ou Raymond Devos qui affirmaient ne pas parler de choses graves sur le mode sérieux. Cela peut-il s’appliquer à tous les sujets ? Pouvons-nous traiter de sujets graves et sérieux sur le mode plaisant ou humoristique ? Faut-il instruire en plaisant ainsi que le conseillaient Molière et La fontaine, n’y a-t-il pas certaines limites au rire ?
I – Appréhender les choses sérieuses sur le mode plaisant
Relativiser les choses permet à l’homme de les accepter avec plus de philosophie, mais dans quelles limites peut-il toujours adopter cette attitude de détachement relatif vis-à-vis des choses pénibles qui font le plus souvent son quotidien ? Par rapport aux questions existentielles comme la mort, la maladie, la destinée humaine, sujets que l’on peut qualifier de sérieux, l’être humain a-t-il sans cesse le potentiel et le ressort suffisant pour prendre du recul relativement à ses interrogations sur sa condition de mortel ? Les thèmes que l’on pourrait qualifier de sérieux ont sans cesse intéressé les auteurs comme La Fontaine par exemple qui évoque la mort, le pouvoir, le malheur en respectant toujours les deux fonctions de l’apologue, à savoir, plaire et instruire car une morale nue nous dit il nous apporte de l’ennui. On retrouve cet état d’esprit chez Molière dans ses comédies. Il semblerait donc que l’humour permette aux écrivains de gérer les grandes interrogations de l’humanité et que le lecteur recherche lui-même à s’évader des considérations ennuyeuses sur ce qui le concerne. L’humour est un art de la séduction bien agréable, qui plait au lecteur mais qui ne l’empêche pas pour autant de ne pas prendre en compte et en considération les points essentiels de sa destinée comme l’amour, la mort etc. le rire et l’humour détendent et nous rendent plus réceptifs, on pourrait presque parler de l’effet cathartique de ses deux modes d’appréhension, voire de thérapie par le rire. Nous pourrions en outre citer Voltaire qui par le biais de ses contes philosophiques parvient à toucher les grandes questions fondamentales du 18ème siècle, comme la dénonciation de l’intolérance religieuse, la tyrannie, l’esclavage, la guerre en mettant les procédés stylistiques de l’antiphrase en avant de manière à faire valoir l’ironie. On en retrouve un nombre considérable dans Candide. Ainsi celui qui rit est plus ouvert et prêt à accepter les choses qu’il n’accepterait peut-être pas sur le ton plus sérieux. C’est pourquoi Molière préfère les peintures plaisantes des défauts des hommes en les amplifiant, en les caricaturant.
Ainsi l’humour rend plus réceptif aux sujets sérieux, mais n’a-t-il pour autant que ce pouvoir libérateur, cathartique ? Il permettrait de relativiser les questions tragiques, dramatiques touchant à la condition humaine, mais ne devons-nous pas reconnaitre qu’il peut aussi provoquer attaque et soumettre ses cibles.
II – ne faut-il pas admettre les limites de l’humour ? Peut- on rire de tout ?
L’homme peut-il s’improviser philosophe en faisant valoir le rire et l’humour sur les sujets les plus graves tout en gardant sa lucidité et sa conscience des choses, cela peut-il suffire à relativiser les questions graves, à les dédramatiser ou nous faut il admettre des limites au rire et à l’humour ? Comment pouvons-nous concilier la gravité de notre condition et les moyens de la supporter, comment gérer l’absurde de ce monde ? L’humour peut-il se permettre de choquer ? Peut-on plaisanter sur le sujet des camps de concentration ? L’humour noir, forme fréquente et moderne de l’humour doit savoir s’utiliser, dans quelle mesure peut-on encore se moquer d’un homme malade ? Où sont les limites du mauvais goût ? Il faut savoir rire des choses sérieuses à condition que cela ne touche pas à la dignité humaine et à un certain système des valeurs qui peut varier d’un homme à un autre. Comment appréhender cette réflexion de Plantu sur un enfant mort en Serbie, devant cette caricature, un soldat snipper ironise et dit : « le problème avec les gosses, c’est qu’ils bougent tout le temps ». Il y aurait donc une opportunité de l’humour relativement à un certain public. Il faut en outre nuancer la question et reconnaitre qu’il est beaucoup plus facile de rire des autres que de soi-même, l’homme a plus de mal à se remettre en question. Le retour sur soi est parfois plus difficile c’est pourquoi il faut avoir une certaine force d’âme pour rire de soi-même. Sur le modèle de son amour pour Armande Béjart, Molière dans l’école des femmes a su le faire, il rit à ses dépens en se présentant sur scène sous les traits de son Arnolphe, vieillard amoureux d’une toute jeune fille. L’autodérision serait ainsi la forme la plus pointue de l’humour. On peut donc rire de tout mais il faudrait respecter cette devise dans les limites d’une certaine dignité humaine et admettre qu’il est beaucoup plus facile de rire de soi que d’autrui.
Conclusion
Il nous faut en conséquence reconnaître qu’il est possible de rire des sujets graves et de les appréhender sur le mode plaisant, la littérature en témoigne, l’humour rend plus réceptif aux sujets sérieux, il dédramatise et libère l’homme, en provoquant et attaquant ses cibles mais il nous faut malgré tout relativiser notre affirmation et admettre des limites au rire et à l’humour. L’humour noir par exemple est à manier avec précaution sans choquer. Il ne faut pas tomber dans le mauvais goût ou l’excès et admettre que nous ne sommes pas toujours prêts à l’accepter, surtout quand nous en sommes la cible.
- معلم: AICHA GABANI